Au-delà des GAFAM : où trouver des pépites technologiques hors du secteur de la tech ?
Anne-Marie Peterson
Gérante de portefeuille actions
Greg Wendt
Gérant de portefeuille actions
Lara Pellini
Gérante de portefeuille actions/analyste
3 septembre 2021
Bien avant que l’on entende parler du Covid-19, les géants de la tech étaient déjà au centre de l’attention des marchés. À juste titre, puisqu’ils transforment la manière dont nous vivons, dont nous travaillons et dont nous consommons.
Cet intérêt tout à fait justifié a fait s’envoler les valorisations de certains chefs de file, notamment ceux qu’on appelle désormais communément les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), et dont la domination n’a pas échappé au viseur des autorités réglementaires. Voilà de quoi déstabiliser les investisseurs effrayés par la volatilité des actions.
La bonne nouvelle, c’est que d’autres secteurs – non technologiques – recèlent également des sociétés de pointe sur le front technologique.
Dans la restauration, le luxe, le chauffage/refroidissement ou encore l’agriculture, des sociétés présentes depuis plusieurs générations s’emparent des nouvelles technologies pour améliorer leur positionnement concurrentiel, amener le progrès social et créer des opportunités pour les investisseurs.
Pour Anne-Marie Peterson, gérante de portefeuille actions, « Pas une entreprise n’échappe aux technologies, de nos jours. Même les sociétés « figées » de l’ancienne économie y ont recours pour moderniser et redynamiser leurs métiers, et créent ainsi des opportunités d’investissement attrayantes. Je ne pense pas que le marché en ait vraiment conscience. »
De fait, les dépenses mondiales des entreprises dans leur transition numérique devraient passer de 1 300 milliards USD en 2020 à 2 400 milliards USD en 2024 (données Statista). Voici comment certaines entreprises historiques adoptent l’automatisation, l’e-commerce ou encore le « machine learning » pour se transformer.
Industrie : limiter les émissions de CO2
Lorsque l’on nous demande de citer le plus gros émetteur de CO2, on pense immédiatement aux voitures. À tort, puisque c’est en réalité l’immobilier : la construction et l’entretien des bâtiments représente plus d’un tiers des émissions à l’échelle mondiale. Sont en partie responsables les systèmes peu performants de chauffage et de refroidissement, connus des spécialistes sous l’acronyme anglo-saxon HVAC (« Heating, Ventilation & Air Conditioning »).
« L’évolution des priorités des pouvoirs publics et des usagers pourrait accélérer le cycle de remplacement des systèmes de chauffage et de refroidissement, et inciter ainsi les fabricants à concevoir des solutions plus respectueuses de l’environnement. »
Prenez l’exemple de Carrier Global, société récemment essaimée du conglomérat industriel United Technologies. Fondée en 1915 par Willis Carrier (considéré comme l’inventeur du climatiseur moderne), cette entreprise ne vient pas immédiatement à l’esprit lorsque l’on pense aux champions de l’innovation. Pourtant, elle a introduit un programme de bâtiments sains visant à améliorer l’efficacité, la sécurité et la santé des espaces clos, avec un système de filtration de l’air qui réduit le risque de bactéries et d’autres agents pathogènes, une caractéristique qui n’a pas manqué d’attirer l’attention durant la crise sanitaire.
« Cette société est en train de développer un système pour identifier les périodes de pointe dans les bâtiments et proposer des options permettant d’en optimiser la consommation totale d’énergie », précise Anne-Marie Peterson.
Fabrication de machinerie lourde : virage vers l’automatisation et les énergies propres
Le fabricant d’équipements pour la construction et l’exploitation minière Caterpillar aspire à devenir chef de file dans le mouvement mondial vers le développement durable. « Cette société a conçu un moteur bicarburant diesel-hydrogène pour aider les utilisateurs de son matériel minier à atteindre plus rapidement leurs objectifs d’émissions de CO2 », raconte Gigi Pardasani, analyste actions.
Caterpillar a également créé un moteur à entraînement électrique, un système de forage terrestre hybride, ainsi qu’un logiciel pour aider les acteurs des secteurs minier, énergétique et du transport à suivre leur flotte de véhicules pour déterminer leur consommation d’énergie et identifier les améliorations possibles.
« On n’entend pas souvent parler de Caterpillar dans le domaine de la transition énergétique, ajoute Gigi Pardasani. Pourtant, j’ai récemment assisté à une séance de démonstration des dernières technologies de l’entreprise qui m’a convaincue du contraire : elle semble jouer un rôle facilitateur clé dans la transition énergétique mondiale. »
De la même manière, Deere & Co. développe des solutions de robotique, d’automatisation et de machine learning pour rendre les exploitations agricoles plus performantes. Certains de ses tracteurs et moissonneuses-batteuses sont dotés de systèmes d’automatisation sophistiqués pour préparer les sols, semer les graines, soigner les plants et récolter les moissons. En août 2021, Deere a annoncé l’acquisition d’un fabriquant de robotique agricole pour accélérer le développement de machines agricoles 100 % autonomes.
Son outil d’analyse basée sur le machine learning permet par exemple de déterminer si une pousse est une mauvaise herbe ou un parasite, et de minimiser ainsi l’utilisation de pesticides. « En intervenant dans les domaines de l’automatisation, des solutions numériques et du développement durable, Deere mise sur les équipements connectés pour inciter les agriculteurs à moderniser leur parc de machines », conclut Gigi Pardasani.
Distribution : l’avenir passera par l’omnicanal
Vous souvenez-vous quand nous partions tous du principe que la domination croissante d’Amazon signerait inévitablement l’arrêt de mort de la distribution traditionnelle ? Pour citer Mark Twain, ce postulat était grandement exagéré.
Aujourd’hui, les grands distributeurs reconnaissent que leur survie repose sur une approche omnicanal, avec des points de vente physiques, une présence en ligne et un modèle « clicks-to-bricks » permettant la livraison en boutique des achats effectués sur Internet. Comme le précise Greg Wendt, gérant de portefeuille actions, « Les leaders offrent une expérience client uniforme sur toutes leurs plateformes. C’est là une évolution majeure de leur mode de fonctionnement, qui privilégie désormais une expérience client globale conjuguant canaux digitaux et physiques. »
Parmi les distributeurs historiques, Williams-Sonoma (enseigne américaine propriétaire des marques Pottery Barn et de West Elm, qui vendait depuis longtemps du matériel de cuisine sur Internet) a – sans surprise – réalisé d’excellentes ventes en ligne durant la crise sanitaire. En parallèle, les magasins physiques qu’elle a récemment ouverts ont vu leur chiffre d’affaires s’envoler.
« J’étais persuadé qu’une grande partie des ventes en ligne observées en 2020 reviendrait par la suite aux points de vente physiques. Mais il y a aujourd’hui lieu de croire que les distributeurs omnicanal parviendront à conserver une part importante de leurs ventes sur Internet, ce qui aura des conséquences non négligeables. »
En 2013, ce qui semble être il y a une éternité dans le monde d’Internet, l’enseigne Target a été victime d’une cyberattaque de grande ampleur impliquant le vol des données personnelles et de paiement de quelques 110 millions de clients.
Reconnaissant qu’elle devait pourtant miser sur les nouvelles technologies pour assurer sa survie, la société a par la suite internalisé son équipe informatique en recrutant près de 4 000 collaborateurs pour améliorer son offre e-commerce et développer son programme de fidélité. Target a ainsi mis en place un service fiable de livraison dans la journée et une offre « click and collect » qui ont remporté un franc succès durant les périodes de confinement.
« Le principal changement depuis quelques années est l’abandon progressif de la livraison à domicile au profit du retrait en magasin. Aujourd’hui, l’activité e-commerce de Target est assez rentable », estime Anne-Marie Peterson. Profitant du dynamisme apporté par la pandémie, Target a investi dans les nouvelles technologies et dans des centres de tri pour pouvoir répondre à la demande et réduire ses coûts.
Articles de luxe : la montée en gamme de l’e-commerce
Comme bon nombre de ses homologues, LVMH – qui possède 75 marques, parmi lesquelles le maroquinier Louis Vuitton, le joaillier Tiffany & Co. et l’enseigne de cosmétiques Sephora – a tardé à se convertir à Internet. Ses dirigeants craignaient en effet que l’accès élargi aux produits, le suivi des préférences client et d’autres atouts de la transformation digitale ne viennent diluer l’image d’exclusivité dont jouissaient les marques du groupe.
LVMH était confronté à un défi supplémentaire, celui de parvenir à proposer une expérience omnicanal sans discontinuité entre ses différentes marques – de la mode à l’hôtellerie et loisirs, en passant par le vin –, chacune possédant une culture et un univers propre. La société a recruté son premier directeur digital en 2015, lequel a rapidement lancé le LVMH Retail Lab, un laboratoire interne pour accompagner chaque marque du groupe dans sa transition numérique.
L’enseigne de luxe s’est par ailleurs dotée d’un outil numérique pour suivre ses produits le long de sa chaîne logistique, afin de garantir leur authenticité et de minimiser les risques de vol. Elle a également adopté une technologie de gestion des commandes permettant aux clients de visualiser en temps réel les stocks disponibles, et de choisir entre livraison dans la journée et retrait en magasin. Certaines marques de LVMH se sont également lancées dans l’intelligence artificielle pour personnaliser les expériences en ligne. Par exemple, il est aujourd’hui possible de tester du maquillage avec le miroir en réalité augmentée de Sephora. « Alors qu’il a déstabilisé bon nombre de distributeurs, l’e-commerce a été salutaire pour LVMH, qui a su s’en servir pour maintenir l’attrait de ses marques dans le monde », juge Lara Pellini, gérante de portefeuille actions.
Restauration : une appli qui met en appétit
Le secteur de la restauration a été l’un des plus durement frappés par la crise sanitaire. Les confinements et l’absence de contact humain ont eu raison de nombreuses entreprises, qui ont déposé le bilan ou se sont placées sous la protection de la loi sur les faillites, tandis que les restaurants qui ont survécu ont mis des mois à s’adapter à l’environnement perturbé.
Domino’s fait exception : plusieurs mois avant que l’on n’entende parler du Covid-19, le géant de la livraison de pizzas avait déjà lancé la livraison sans contact et le service « au pied de la voiture ». Dans une certaine mesure, cela faisait des années que Domino’s se préparait aux changements engendrés par la crise sanitaire. Par tâtonnements, ce restaurateur a innové et amélioré son approche de la livraison. Plutôt que de s’appuyer sur les technologies de plusieurs fournisseurs, Domino’s a étoffé son équipe technologique interne et développé son propre système de commande en ligne sur plusieurs plateformes numériques.
Avec son « Garage de l’innovation », Domino’s a instauré le suivi GPS des commandes et plus récemment, ajouté à son app une fonctionnalité de « commande en zéro clic ». Voilà qui lui a permis de maintenir ses bénéfices lorsque l’activité économique a redémarré.
Conséquences pour les investisseurs
Comme on vient de le voir, l’innovation ne se limite pas au seul secteur technologique. Bien sûr, la transformation numérique n’est pas un gage de prospérité sur le long terme. Selon Greg Wendt, la clé pour les investisseurs est de connaître parfaitement la stratégie digitale des entreprises pour pouvoir estimer leurs perspectives de réussite.
« Lorsqu’ils envisagent de s’exposer aux gagnants potentiels du nouveau monde numérique, certains investisseurs ne pensent qu’aux géants de la tech grand public, aux acteurs de la fintech ou aux concepteurs de logiciels hébergés dans le cloud. Chez Capital Group, nous nous intéressons à tous les secteurs et recherchons les sociétés peu visibles et en mesure de profiter pendant de nombreuses années de leur passage au numérique. »
Anne-Marie Peterson est gérante de portefeuille actions chez Capital Group. Possédant 26 ans d’expérience dans le secteur de l’investissement, elle a rejoint Capital Group il y a 16 ans. Elle est également analyste d’investissement chargée du secteur américain du commerce de détail. Anne-Marie est titulaire d’une licence d’économie de l’université de Californie à Irvine, ainsi que de la certification CFA.
Greg Wendt est gérant de portefeuille actions chez Capital Group et possède 32 ans d’expérience dans le secteur de l’investissement. Il est aussi analyste d’investissement chargé des secteurs américains du casino et des jeux, des loisirs, de la restauration et du merchandising. Il couvre également les sociétés de petite capitalisation. Greg est titulaire d’un MBA de Harvard et d’une licence obtenue à l’université de Chicago.
Lara Pellini est gérante de portefeuille actions chez Capital Group et possède 19 ans d’expérience dans le secteur de l’investissement. Elle est titulaire d’un master en économie du travail et en relations entre partenaires sociaux de la London School of Economics, ainsi que d’un diplôme universitaire en relations publiques et en économie de l’information d’IULM à Milan.